RETRAITES: ATTENTION AU THERMOMÈTRE!

Publié le par Force Ouvrière Centre Hospitalier d'Arras

Article de Yves Veyrier, Secrétaire confédéral, paru dans FO Hebdo n°2926
En physique, l’une des sources d’erreur de la mesure provient de la finesse de l’instrument utilisé. Celle-ci correspond à l’influence qu’exerce le capteur sur la grandeur mesurée. Ainsi, lorsque l’on mesure la température d’un milieu, par exemple d’un liquide, à l’aide d’un thermomètre, le résultat obtenu est non pas la température initiale du liquide mais la température d’équilibre entre cette température initiale et la température initiale propre du thermomètre que l’on a plongé dans le liquide. Le thermomètre, s’il est plus froid que le liquide, tendra à refroidir la température de celui-ci une fois qu’il y aura été plongé. Les physiciens s’attachent à réduire autant que possible cette influence, afin d’améliorer la finesse de la mesure et ainsi obtenir des résultats précis et fiables.

On imagine aisément que cette notion est aussi importante sinon plus en matière de «mesure de l’opinion publique» ou sondage. Outre la technique du choix de l’échantillon, les questions posées sont l’équivalent du capteur dont l’influence sera déterminante quant au résultat obtenu et publié.

D’un sondage récent(1) est ainsi surtout ressorti que les Français seraient prêts à travailler jusqu’à 61,9 ans pour avoir une bonne retraite. Mais ce même sondage faisait ressortir, avec un calcul moyen au demeurant contestable, que les mêmes Français estimaient qu’ils seraient contraints de partir à la retraite à 64,7 ans. Une autre question à «tiroirs» (choix dans un ensemble de réponses proposées qui est aussi discutable) indiquait que, toujours les mêmes Français préféraient, à 41%, «cotiser plus pour partir à la retraite le plus tôt possible», et à 23% «partir le plus tôt possible, quitte à avoir une retraite moindre», soit 64% de Français faisant le choix de partir le plus tôt possible! Les seules autres réponses proposées étaient «travailler le plus longtemps possible pour garantir une retraite satisfaisante», ou «rien de tout cela»! On imagine aisément que si l’on avait proposé comme autre choix préférentiel «mieux répartir les richesses au profit de l’ensemble de la population plutôt qu’aux capitaux spéculatifs pour assurer le financement de la retraite à 60 ans», le résultat aurait été sensiblement modifié...

En cette période où les sondages vont une nouvelle fois être appelés à la rescousse des gouvernants et de l’inéluctabilité des «réformes» en préparation, nous ne saurions trop recommander la lecture, rafraîchissante pour la liberté et la démocratie, de quelques pages que Pierre Bourdieu a consacrées à l’analyse des sondages(2). «Le sondage d’opinion est un instrument d’action politique», et l’enquête d’opinion a pour effet de légitimer une politique et de renforcer les rapports de force qui la rendent possible, y soulignait-il notamment!

(1) Sondage IFOP pour le JDD, réalisé du 7 au 8 janvier 2010 auprès d’un échantillon de 1 019 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, dont 522 actifs (méthode des quotas). Les interviews ont eu lieu par téléphone, au domicile des personnes interrogées.
(2) «L’opinion publique n’existe pas», Pierre Bourdieu, in Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit.

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